Rudolf Hoess a été commandant du camp d’Auschwitz du 1er mai 1940 à fin octobre 1943 puis de juin au mois d’août 1944. Détenu dans la prison de Cracovie après la guerre, il rédigea une autobiographie en l’attente de son procès. Le 4 avril 1947, il fut pendu en exécution du jugement.
À l'ouest de l'Oder, je m'étais heurté sur toutes les routes et sur tous les sentiers à des colonnes de détenus qui avançaient péniblement dans la neige épaisse. Il n'y avait pour eux aucun approvisionnement. Les Unterführer qui dirigeaient ces convois de cadavres vivants ignoraient, dans la plupart des cas, où il leur fallait diriger leurs pas.
Tout ce qu'ils savaient, c'était que Gross-Rosen devait être leur dernière étape, mais la façon dont ils y parviendraient restait pour eux un mystère. Ils réquisitionnaient de leur propre autorité des vivres dans les villages qu'ils traversaient, s'accordaient quelques heures de repos et poursuivaient leur route. Il n'était pas question de passer la nuit dans des granges ou dans des écoles, car tous les locaux habitables étaient remplis de réfugiés. Il était aisé de suivre les traces de ce « Chemin de Croix » car, tous les cent mètres, on se heurtait à un détenu mort d'épuisement ou fusillé. (…)
De temps à autre, je rencontrais aussi des officiers qui venaient d'Auschwitz dans les véhicules les plus divers. Je les postais aux carrefours et je les chargeais de rassembler les colonnes de détenus qui erraient aux alentours et de les diriger vers l'ouest, en utilisant éventuellement le chemin de fer.
Je vis aussi des convois qui étaient installés sur des wagons plates-formes destinés au transport du charbon et arrêtés en cours de route sur une voie de garage. Beaucoup d'hommes étaient morts de froid ; il n'y avait pour eux aucun ravitaillement. Je vis aussi des groupes de détenus qui avançaient paisiblement vers l'ouest, sans aucune escorte : ils s'étaient libérés et les sentinelles avaient disparu.
Témoignage de Jacqueline Fleury
Déportée résistante
Le 13 avril, le commandant du camp nous a mises sur la route. Nous sommes parties cinq par cinq avec un petit morceau de pain et chacune une couverture. Nous étions chaussées de galoches que nous trainions depuis Ravensbrück. Moi, qui chausse du 36, j’avais du 40. Les souvenirs que j’ai de cette marche hallucinante, c’est le bruit de ces galoches trainées sur les routes, sur le sol encore gelé…Dans cette région, il a encore neigé le 1er mai. Nous avons fait un nombre ahurissant de kilomètres. Nous trainions nos malades sur les charrettes sur lesquelles les SS avaient mis leur paquetage. Faute de nourriture, on a mangé de l’herbe sur le bord de la route, buvant de l’eau dans les fossés. En général, on marchait la nuit et on nous arrêtait le jour parce que c’était plus facile de nous garder. Parmi les Françaises, certaines ont réussi à s’échapper dès le début. Le commandant ne savait pas très bien où il nous emmenait. Nous étions bombardés, mitraillés. Nous avons traversé et retraversé l’Elbe. Nous avons marché du 13 au 28_29 avril, avant de pouvoir nous évader de cette colonne. Pendant tout ce temps, le bruit du canon signalait l’avance des Soviétiques et nous donnait espoir.
Témoignage de Marcel Stourdze
Déporté, il raconte la marche de la mort de Monowitz à Dachau
De Monowitz à Gleiwitz, à pied, la moitié d’entre-nous est restée sur la route : le froid, la faim, sur plusieurs dizaines de kilomètres. À Gleiwitz, on nous a mis dans des wagons à bestiaux ouverts. Le trajet jusqu’à Oranienburg a duré neuf jours. Sans arrêt, certains mourraient de froid, de faim. La seule chose dont nous disposions pour nous nourrir, c’était de la neige. Lorsque nous sommes passés en Tchécoslovaquie, (pour aller au camp de Mauthausen qui devait nous « recevoir »), les Tchèques nous ont jeté du pain. C’est tout. Autrement, nous n’avons rien mangé. Les morts, nous les jetions par-dessus bord. Quand les SS nous l’ont interdit, il a fallu les mettre les uns au-dessus des autres. Cela permettait d’ailleurs à certains d’avoir un pantalon ou une veste de plus. Les Soviétiques avançaient et cela faisait trois mois qu’ils étaient à une quinzaine de kilomètres. Les SS considéraient qu’en nous ramenant en Allemagne, nous pouvions servir de main d’œuvre. À Orianenbourg nous avons travaillé aux usines Heinkel, des usines d’avion. À Regensburg, on fabriquait les premiers avions à réaction. Cependant, quand on a évacué Regensburg pour Dachau, ils auraient pu fusiller tout le monde. Mais vis-à-vis des populations civiles, cela aurait fait beaucoup de cadavres. Par contre, dans les camps, ils faisaient fusiller des gens tous les jours dans les bois.
Témoignage de Teofil Balcarek
Paysan de Branica près de Zory, cité in F. Sessi, Auschwitz. 1940-1945, (traduit de l’italien), Editions Kimé, 2014, p. 8-9.
Une nuit nous fûmes réveillés par des coups de feu provenant de la route proche de notre maison. Cela nous inquiéta mais nous n’eûmes pas le courage de sortir. Par les fenêtres, on ne voyait rien. Le matin vers 7h30-8h00 (…) je partis avec un chariot en direction de Kobielice pour transporter mon lait et celui des voisins dans un lieu convenu (…) Non loin de chez moi, je vis sur le bord de la route le cadavre d’un homme portant une veste rayée. Il gisait sur le talus et on voyait du sang. J’en vis d’autres par la suite(…)
Je rencontrais aussi des colonnes d’hommes, vêtus de vestes ou de salopettes qui allaient dans la direction opposée à la mienne. Deux ou trois groupes d’une dizaine de personnes, lesquels, escortés par des gardes armées, marchaient très lentement, tenant à peine sur leurs jambes. À l’orée du bois, je vis de mes yeux un garde tirer sur un détenu qui se trouvait en queue de colonne. Tout à coup, un homme de l’escorte fut derrière lui et tira sur lui au révolver (pas à la carabine). Aucun des prisonniers ne se retourna. Cette scène accrut mon effroi. Après avoir livré le lait à l’endroit convenu, je retournai chez moi.
À l'ouest de l'Oder, je m'étais heurté sur toutes les routes et sur tous les sentiers à des colonnes de détenus qui avançaient péniblement dans la neige épaisse. Il n'y avait pour eux aucun approvisionnement. Les Unterführer qui dirigeaient ces convois de cadavres vivants ignoraient, dans la plupart des cas, où il leur fallait diriger leurs pas.
Tout ce qu'ils savaient, c'était que Gross-Rosen devait être leur dernière étape, mais la façon dont ils y parviendraient restait pour eux un mystère. Ils réquisitionnaient de leur propre autorité des vivres dans les villages qu'ils traversaient, s'accordaient quelques heures de repos et poursuivaient leur route. Il n'était pas question de passer la nuit dans des granges ou dans des écoles, car tous les locaux habitables étaient remplis de réfugiés. Il était aisé de suivre les traces de ce « Chemin de Croix » car, tous les cent mètres, on se heurtait à un détenu mort d'épuisement ou fusillé. (…)
De temps à autre, je rencontrais aussi des officiers qui venaient d'Auschwitz dans les véhicules les plus divers. Je les postais aux carrefours et je les chargeais de rassembler les colonnes de détenus qui erraient aux alentours et de les diriger vers l'ouest, en utilisant éventuellement le chemin de fer.
Je vis aussi des convois qui étaient installés sur des wagons plates-formes destinés au transport du charbon et arrêtés en cours de route sur une voie de garage. Beaucoup d'hommes étaient morts de froid ; il n'y avait pour eux aucun ravitaillement. Je vis aussi des groupes de détenus qui avançaient paisiblement vers l'ouest, sans aucune escorte : ils s'étaient libérés et les sentinelles avaient disparu.