témoignage d'Odette Abadi

Un peu plus tard, nous pensons devenir fous d’émotion et de joie : nous reconnaissons nos banlieues, et voilà que nous arrivons en gare du Nord. Devant la gare, des autobus nous attendent, les mêmes que ceux qui nous avaient conduits de Drancy à Bobigny pour partir à Birkenau ![…]
Les bus se mettent en marche, on traverse Paris : est-ce un rêve ? On arrive à l'hôtel Lutetia, centre d'accueil et de contrôle des déportés. La vaste entrée de la résidence est obstruée par une masse de femmes qui brandissent des photos, hurlent des noms. Ce sont les épouses, les amies, les mères de déportés qui espèrent trouver parmi les arrivants des témoins de la vie ou de la mort de ceux qui ne sont pas revenus…
Il faut foncer dans le tas pour pouvoir entrer.
À l'intérieur de l'hôtel, c'est encore le brouhaha et le piétinement de la foule, mais on nous dirige vers des chambres–dortoirs où nous pouvons nous reposer avant de retourner parmi les autres. Et voilà que nous retrouvons des camarades du camp ou du voyage : rien ne pouvait être plus réconfortant, on dirait que nous retrouvons nos vrais pays ! […]
Le lendemain de notre arrivée, il me tarde de partir à la reconquête de mon Paris et je sors le matin très tôt. […] Je descends dans le métro à la station Sèvres-Babylone et là, c’est la défiance et la haine qui animaient déjà ceux qui nous ont poursuivis, emprisonnés, exclus, que je décèle encore concentrées dans l’expression mauvaise et le ton hargneux de la poinçonneuse devant laquelle je passe sans ticket en disant « déportée », ainsi que l’on nous l’a appris au Lutetia. « C’est bizarre, il n’y a plus que des déportés à Paris… », grommelle-t-elle, comme si je lui avais ôté le pain de la bouche.

biographie

Née Rosenstock, dans une famille juive à Paris, le 24 août 1914, dans le quartier du Sentier où ses parents ont une petite entreprise de confection. Elle fait des études de médecine. À la fin de la guerre d’Espagne, en 1938, elle participe, dans les Pyrénées, à l’accueil des réfugiés espagnols et aide certains à s’échapper des camps. En 1939, elle rencontre son futur mari, Moussa, également médecin. Pendant les deux premières années de la guerre en dispensaire, elle soigne des Juifs étrangers. Fin novembre 1942, elle travaille dans la zone d’occupation italienne, à Nice, pour l’Œuvre de secours des enfants (OSE). Avec son mari et l’aide de Paul Rémond, évêque de Nice, elle crée le réseau Marcel pour cacher des enfants juifs, 527 au total. En septembre 1943, sa mère et sa sœur sont arrêtées alors qu’elles traversaient la ligne de démarcation. Arrêtée le 25 avril 1944 par la milice, elle est déportée à Auschwitz-Birkenau. Elle est nommée médecin du Revier. En novembre 1944, elle est évacuée vers Bergen-Belsen où elle contracte le typhus.
Au cours de sa vie professionnelle, elle occupe divers postes comme médecin. C’est en 1995 qu’elle publie Terre de détresse. Moussa et Odette Abadi sont respectivement décédés en 1997 et 1999.

pour en savoir plus

O. Abadi, Terre de détresse. Birkenau Bergen-Belsen, L’Harmattan, Paris, 1995.
C. Richet, « Biographies des membres du réseau Marcel », in C. Richet, Organisation juive de combat, Autrement « Mémoires/Histoire », 2006 p. 444-448.

www.moussa-odette-abadi.asso.fr