Un peu plus tard, nous pensons devenir fous d’émotion et de joie : nous reconnaissons nos banlieues, et voilà que nous arrivons en gare du Nord. Devant la gare, des autobus nous attendent, les mêmes que ceux qui nous avaient conduits de Drancy à Bobigny pour partir à Birkenau ![…]
Les bus se mettent en marche, on traverse Paris : est-ce un rêve ? On arrive à l'hôtel Lutetia, centre d'accueil et de contrôle des déportés. La vaste entrée de la résidence est obstruée par une masse de femmes qui brandissent des photos, hurlent des noms. Ce sont les épouses, les amies, les mères de déportés qui espèrent trouver parmi les arrivants des témoins de la vie ou de la mort de ceux qui ne sont pas revenus…
Il faut foncer dans le tas pour pouvoir entrer.
À l'intérieur de l'hôtel, c'est encore le brouhaha et le piétinement de la foule, mais on nous dirige vers des chambres–dortoirs où nous pouvons nous reposer avant de retourner parmi les autres. Et voilà que nous retrouvons des camarades du camp ou du voyage : rien ne pouvait être plus réconfortant, on dirait que nous retrouvons nos vrais pays ! […]
Le lendemain de notre arrivée, il me tarde de partir à la reconquête de mon Paris et je sors le matin très tôt. […] Je descends dans le métro à la station Sèvres-Babylone et là, c’est la défiance et la haine qui animaient déjà ceux qui nous ont poursuivis, emprisonnés, exclus, que je décèle encore concentrées dans l’expression mauvaise et le ton hargneux de la poinçonneuse devant laquelle je passe sans ticket en disant « déportée », ainsi que l’on nous l’a appris au Lutetia. « C’est bizarre, il n’y a plus que des déportés à Paris… », grommelle-t-elle, comme si je lui avais ôté le pain de la bouche.